#62 · Les sanctions économiques contre la Russie ont-elles échoué ?

La remontée du cours du rouble pourrait laisser croire que les sanctions économiques n'auraient eu qu'un effet temporaire. Il n'en n'est rien.

#62 · Les sanctions économiques contre la Russie ont-elles échoué ?

Chère abonné, cher abonné,

suite à son invasion de l'Ukraine, les démocraties ont fait pleuvoir sur la Russie un nombre colossal de sanctions économiques, souvent sévères. Suite à ces sanctions, le cours du rouble s'est effondré face aux monnaies étrangères. Or, il est depuis remonté à un niveau similaire à son niveau précédant l'invasion. Certains concluent de cette remontée qu'elle montre l'échec des sanctions économiques contre la Russie, au sens où elles n'auraient pas d'effet véritable sur l'économie russe ; en réalité, cette remontée montre d'après moi exactement l'inverse. Laissez-moi expliquer.

Le cours du rouble face au dollar au cours des six derniers mois. Source : Apple Stocks.

Il faut commencer par expliquer comment se fixent les prix sur un marché quelconque — monétaire ou non. D'après le modèle de l'offre et de la demande, le prix de marché se fixe au point d'intersection entre la fonction de demande (déterminée par les gens qui veulent acheter) et la fonction d'offre (déterminée par les gens qui veulent vendre).

Si on regarde en détail la manière dont on exprime ces deux fonctions, on remarque que le prix (axe vertical) dépend des quantités achetées et vendues (axe horizontal). Gardez cette information dans un coin de votre tête.

Passons maintenant au cours du rouble face au dollar. Depuis le 24 février et les diverses sanctions économiques qui ont frappé la Russie, comme l'illustre le premier graphique du numéro, le cours du rouble a dévissé. D'après les données de la Banque centrale de Russie elle-même, on constate également une chute massive du volume des échanges.

Volume des transactions rouble-dollar au cours de l'année écoulée. Source : Banque centrale de Russie.

Comme n'importe quel autre bien ou service, le taux de change d'une monnaie peut se représenter sous la forme d'un modèle d'offre et de demande. Le vocabulaire peut parfois un peu changer, mais c'est un changement purement cosmétique ; les mécanismes du modèle restent les mêmes.

Que nous dit le modèle d'offre et de demande sur l'évolution du cours du rouble depuis le 24 février ?

Souvenez-vous, le prix de marché dépend des quantités échangées à l'équilibre. Dans la mesure où il n'est pas possible de contrôler directement le prix du rouble (ou alors au prix de sortir le rouble des marchés financiers internationaux, une mesure extrême), les autorités russes peuvent essayer de contrôler les quantités pour essayer de limiter l'effondrement de son prix. En d'autres termes : en contrôlant les quantités, on peut indirectement contrôler les prix.

C'est exactement ce qu'il s'est passé : les autorités russes ont mis en place un ensemble de mesures pour contrôler les quantités. Il est par exemple interdit aux entreprises russes de vendre du rouble en contrepartie d'autres monnaies, certaines d'entre elles ont été obligées de convertir leurs devises étrangères en rouble, les retraits en monnaie étrangère sont limités — et ainsi de suite.

Ce contrôle d'une partie importante des quantités sur le marché a deux effets. Le premier est que dans la mesure où le volume des échanges s'est massivement réduit, il est plus facile de manipuler le prix du rouble en manipulant les quantités échangées. Une comparaison pour essayer de comprendre : si on considère le prix comme un objet physique et le volume des échanges comme la masse de cet objet, il est plus facile de faire bouger un objet dont la masse est petite plutôt qu'un objet dont la masse est grande.

Le second, c'est qu'en contrôlant une partie importante des quantités, les autorités russes sont en fait capables de déplacer les courbes d'offre et de demande d'une manière telle qu'elles peuvent artificiellement remonter le cours du rouble. C'est ce qu'illustre le graphique ci-dessous : les courbes d'offre et de demande se déplacent dans le graphique (du fait des mesures prises par les autorités russes). Ce graphique se veut une illustration à la fois du maintien du prix du rouble à son niveau pré-guerre (la valeur du prix de marché, visible sur l'axe vertical, ne change pas) et de la baisse des quantités échangées (qui sont plus proches de l'origine sur l'axe horizontal).

Une note importante : ce graphique est avant tout pédagogique. Je ne l'ai pas conçu pas comme une représentation nécessairement fidèle de la réalité. Par exemple : les fonctions d'offre et de demande ne sont pas nécessairement des droites, ou encore les déplacements des courbes peuvent être différents que ceux représentés ici.

La remontée du cours du rouble, alors que les sanctions économiques ne sont pas levées (et sont même petit à petit renforcées), n'est possible que parce que le marché monétaire russe est dans un état de grande fragilité. C'est cette grande fragilité qui permet aux autorités russes de "limiter" les dégâts — de manière complètement artificielle.

Soyons clairs : cette remontée du cours du rouble est un peu équivalente à soigner le symptôme — ou à maintenir le malade en vie grâce à un respirateur. La cause sous-jacente, en l'occurrence les sanctions économiques causées par l'invasion de l'Ukraine en Russie, est toujours présente. Et cette remontée du rouble ne règle pas les perspectives catastrophiques à moyen terme de l'économie russe, y compris dans l'hypothèse où une partie des sanctions économiques seraient levées.

Méfiance, donc, avant de conclure que cette remontée prouve que les sanctions n'auraient que des effets superficiels et/ou de court terme sur l'économie russe. Comme je l'écrivais plus haut, j'ai plutôt tendance à penser que cette remontée est au contraire un signe que les sanctions sont efficaces — un avis partagé par d'autres. Sans les interventions à la hache des autorités russes, le cours du rouble se serait effondré encore davantage — et il ne serait pas remonté.

À bientôt pour le prochain numéro de L'Économiste Sceptique,
Olivier