#77 · L’économie, ça n’existe pas

Où je débunke l'une des fausses conceptions les plus répandues sur l'économie

#77 · L’économie, ça n’existe pas

Chère abonnée, cher abonné,

Quel titre étrange, vous êtes-vous peut-être dit en voyant ce nouveau numéro de la newsletter de L'Économiste Sceptique dans votre boîte de réception. Et à juste titre ! Quelle idée en effet de lire un économiste prétendre que l'économie, en réalité, ça n'existe pas ? Derrière ce titre un brin provocateur, il y a pourtant une fausse conception de l'économie que j'aimerais débunker.

Avant de continuer, un rappel qu'aura lieu ce jeudi à 20h la douzième visioconférence privée. Vous pouvez obtenir le lien Zoom pour venir discuter avec moi et les autres membres Plus par ici.

Dans les médias et le champ politique, on entend souvent parler de "l'économie" comme s'il s'agissait d'une entité indépendante de nos vies — et des humains que nous sommes. Il n'y a, en réalité, rien de plus faux. L'économie est fondamentalement faite d'humains. L'économie est constituée de marchés (où des producteurs vendent des biens et des services à des consommateurs) et d'organisations (comme les entreprises, les associations, l'État, etc.). Les producteurs comme les consommateurs peuvent être des organisations, mais il peut également s'agir d'humains comme vous et moi.

Surtout, les organisations elles-mêmes sont in fine nécessairement constituées d'humains. Une entreprise est constituée de salariés (qui sont des humains) et d'actionnaires (qui sont des humains). Les actionnaires peuvent être d'autres organisations, mais elles sont elles-mêmes constituées de salariés et d'actionnaires — qui, à un moment, finissent bien par être des humains. Les associations sont constituées de bénévoles (des humains), de donateurs (le plus souvent, des humains) et parfois de salariés (des humains). L'État est constitué de salariés (que l'on appelle fonctionnaires, qui sont des humains) et des contribuables (le plus souvent, des humains).

En d'autres termes, lorsque l'on déroule la pelote du système économique, on finira toujours par tomber sur des humains. L'idée que l'économie serait une entité indépendante des humains est une idée fausse. Lorsque l'on appelle à réguler, ou déréguler d'ailleurs, "l'économie", les effets de ces politiques économiques pèseront nécessairement sur des humains. Mesurer rigoureusement et le plus exhaustivement possible ces conséquences sur les humains est une nécessité majeure — et c'est l'un des apports de la science économique actuelle.

Si, demain, on décide de taxer lourdement Total au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, les effets de cette décision ne pèseront pas sur Total en tant qu'organisation mais sur les humainsqui sont parties prenantes de Total : ses salariés, ses actionnaires, ses fournisseurs et ses clients.

Plus généralement, et comme je l'esquissais plus haut, il est à mon avis problématique, voire parfois dangereux, de raisonner sur "l'économie" comme s'il s'agissait d'une entité indépendante qui serait autonome de nos vies. Elle ne l'est pas du tout. Lors du premier confinement, quelqu'un de très politisé dans mon entourage m'a dit en substance que la santé devait passer devant l'économie "parce que la santé, ce sont des humains". Sauf que lorsque l'on décide d'un confinement, il y a aussi des humains qui en subissent des conséquences négatives. Les personnes qui travaillent dans le secteur de la restauration et qui se retrouvent au chômage partiel, les personnes licenciées par les entreprises qui font faillite, les actionnaires de ces entreprises qui font faillite, les clients qui ont des difficultés à obtenir des produits parfois importants pour eux, et ainsi de suite. Il s'agit, là aussi, de conséquences sur des humains.

Je ne dis pas que les confinements étaient une mauvaise idée (je pense l'exact opposé), ni qu'il faut mettre l'économique devant le sanitaire. Je dis seulement que lorsque l'on se représente l'économie comme une entité indépendante des humains, on risque d'oublier de prendre en considération les effets sur les humains des politiques publiques que l'on met en place — ou que l'on souhaite mettre en place. Ce qui est à mon avis dangereux, car c'est la recette idéale pour soit involontairement causer du tort, soit carrément proposer un remède pire que le mal.

C'est d'ailleurs, à mon avis, une extrême faiblesse dans les approches consistant à vouloir "taxer Total parce qu'ils polluent beaucoup en vendant du pétrole". Je ne dis pas qu'il ne faut pas taxer Total, mais ça n'est pas "Total" qui émet du CO2 en consommant son propre pétrole ; ce sont ses clients, ceux qui achètent le pétrole de Total, qui émettent ce CO2, et si l'on déroule encore une fois la pelote du système économique, on aboutit nécessairement sur des humains. Taxer Total, c'est très vraisemblablement taxer les humains qui sont parties prenantes de Total. Encore une fois, ça n'est pas nécessairement une mauvaise chose de taxer les émissions de CO2 émises par les clients qui consomment du pétrole produit par Total. Mais il faut bien avoir conscience de qui va réellement payer la taxe ; et se représenter "l'économie" comme une entité indépendante est une quasi-garantie de mal se représenter cette information cruciale, et d'oublier certaines des conséquences que ces décisions auront immanquablement sur des humains comme vous et moi.

L'économie est un phénomène riche et complexe, et il est malheureusement trop souvent caricaturé dans les médias, dans le champ politique et par un certain militantisme — y compris par certains sceptiques. C'est, là encore, dangereux car de la même manière qu'avoir des représentations médicales ou environnementales fausses nous pousse vers de fausses médecines ou des "solutions" environnementales qui n'en sont pas, avoir des représentations fausses de l'économie nous pousse à parfois défendre des solutions inefficaces, voire dans certains cas contreproductives, pour résoudre des problèmes économiques, politiques et sociaux pourtant bien réels.

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À bientôt pour le prochain numéro de L'Économiste Sceptique,
Olivier