#87 - Je ne suis pas contre la décroissance

Il me semble nécessaire de clarifier ma position sur la décroissance, position qui n’est pas toujours bien comprise

#87 - Je ne suis pas contre la décroissance
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Chère abonnée, cher abonné,

J’ai largement écrit sur la décroissance sur L’Économiste Sceptique. J’ai abordé la littérature scientifique sur la décroissance avec un esprit ouvert, et mon rôle de vulgarisateur scientifique est de vous transmettre ce que j’en ai compris. Voici ce que j’ai trouvé dans cette littérature scientifique : la décroissance est un concept sans définition claire, son efficacité carbone, son coût et les arbitrages qu’elle nécessitera n’ont pas été évalués empiriquement et les mécanismes pour l’implémenter n’ont pas non plus été évalués empiriquement. En d’autres termes, on ne sait pas exactement ce qu’est la décroissance, on n’en connaît pas les effets et on ne sait pas comment la mettre en place.

#60 · Le point sur la décroissance
La décroissance est présentée par certain·e·s comme une solution au réchauffement climatique. Est-ce réellement le cas ?

J’entends que suite à pareil paragraphe, on puisse conclure que je suis contre la décroissance. Cette conclusion ne reflète pas ma position sur la décroissance, et je vais expliquer en quoi.

Je suis économiste, et j’aborde la décroissance comme une proposition de politique publique. Ce qu’elle est, au moins sur le principe. Les décroissants ont en effet identifié un problème (les multiples crises écologiques, dont le réchauffement climatique) et proposent une intervention de l’État pour le résoudre (la décroissance). C’est exactement la définition d’une politique publique.

#85 · Qu’est-ce que les politiques publiques ?
Leur étude est une importante question au sein de la science économique

Le problème est que du fait des (nombreuses) limites que j’ai constatées dans la littérature décroissante, la décroissance est en principe une proposition de politique publique, mais dans les faits, c’est (au moins pour le moment) une proposition trop imprécise pour être une politique publique.

Une politique publique doit venir avec une sorte de manuel pour la mettre en application. C’est le cas pour les taxes carbone : les recherches scientifiques à leur sujet ont par exemple permis d’identifier quidoit les payer (même s’il faut faire attention à l’incidence fiscale) et leur montant en fonction de la réduction d’émissions de CO2 que l’on souhaite atteindre. Le manuel n’est généralement pas binaire, il existe souvent plusieurs options pour implémenter une politique publique donnée — chaque option ayant ses avantages et ses inconvénients. Il n’y a pour le moment aucun manuel venant avec la décroissance — un argument avec lequel Timothée Parrique est d’ailleurs d’accord. J’avais d’ailleurs proposé dans un précédent numéro un véritable programme de recherche qui permettrait, si les résultats scientifiques sont favorables, de faire de la décroissance une proposition de politique publique.

#51 · La décroissance : d’accord, mais comment ?
La décroissance n’est à ce jour pas une proposition de politique publique. Et il y a encore beaucoup de travail scientifique à faire avant qu’elle en devienne une.

J’en viens maintenant à ma position personnelle. Comme l’indique le titre de ce numéro, je ne suis pas contre la décroissance. Je ne suis pas en faveur de la décroissance non plus. Je n’ai en réalité pas d’opinion à son sujet. Pour une raison simple : dans la mesure où elle n’est en l’état pas une proposition de politique publique, je n’ai tout simplement pas les moyens de me faire une opinion. Il y a tellement de définitions différentes que l’on ne sait même pas de quoi il s’agit ! Pour certains, c’est une baisse du PIB. Pour d’autres, c’est une baisse des prélèvements énergétiques et de ressources naturelles — dans ce cas, en quoi est-ce différent de la sobriété, voire du découplage ? Comment se positionner face à une proposition aussi imprécise ? Et ainsi de suite.

La décroissance est comme un traitement médical qui, sur le papier, a des arguments en sa faveur mais dont l’efficacité n’a pas été évaluée empiriquement. Puisque les données n’existent pas (encore ?), il n’y a de mon point de vue pas de matière à se faire une opinion. C’est seulement lorsque les données existeront, si elles existent un jour, que je pourrais me faire une opinion.

Cela étant, vu un certain nombre de red flags que j’ai identifié à la fois dans la littérature décroissante, dans le discours et dans les comportements de certaines de ses têtes de file, je ne suis pas optimiste sur l’évolution de la littérature décroissante — et sur sa capacité à devenir une proposition de politique publique. Je m’en désole, car quelque soit les politiques publiques environnementales que l’on souhaite voir mettre en place, de mon point de vue, plus on aura de propositions sérieuses sur la table, meilleures seront nos chances de répondre efficacement au réchauffement climatique.

Cette stagnation de la littérature décroissance pose plus généralement la question des objectifs des décroissants lorsqu’ils mènent ces travaux de recherche : ont-ils réellement à cœur d’étudier objectivement la décroissance — quitte à prendre le risque d’avoir des résultats qui montrent que c’est une impasse ? Ou ont-ils d’autres objectifs sans rapport avec la recherche scientifique ? Si oui, quels sont ces objectifs ?

À titre plus personnel, et alors que je suis fondamentalement un nerd de la science économique qui éprouve un grand bonheur à lire la littérature scientifique, lire la littérature décroissante est au contraire frustrant. M’y plonger a été, et continue à être, une déception intellectuelle. En cause, l’écart entre l’importance de l’enjeu et la promotion faite de la décroissance par ses tenants, et la qualité du travail scientifique fourni. J’ai toutefois encore des choses à dire à son sujet, je continuerai donc à la couvrir du mieux que je peux sur L’Économiste Sceptique.

À bientôt pour le prochain numéro,
Olivier