#9 · Faut-il faire confiance aux arguments des militants ?

Pour conclure cette série d’articles sur les incitations, j’aimerais montrer, avec l’exemple des militants, une application concrète de ce que les incitations peuvent apporter à la méthode sceptique.

#9 · Faut-il faire confiance aux arguments des militants ?

Cela fait maintenant plusieurs articles que j’explore ce que sont les incitations, et ce qu’elles peuvent apporter aux sceptiques – une méthode pour mieux détecter quand vérifier, et quand ne pas vérifier, un argument. Dans le dernier article de cette série, j’aimerais identifier les incitations des militants, afin de dégager une règle générale sur la confiance à accorder à leurs arguments.

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En bref

La section En bref vous propose un résumé du contenu de l’article. Très utile si vous n’avez pas le temps de le lire en entier, ou si vous souhaitez en scanner le contenu.

  • Les sceptiques sont souvent en conflit avec les militants, mais quelques précautions préalables sur le militantisme s’imposent.
  • Première précaution : l’idéologie n’est pas forcément quelque chose de négatif. En fait, elle est même nécessaire pour trancher des arguments moraux et/ou politiques. “Faut-il recourir à l’énergie nucléaire afin de réduire le réchauffement climatique ?” n’est par exemple pas une question scientifique. Il s’agit d’une question politique, et y répondre impliquera nécessairement une prise de positon idéologique.
  • Seconde précaution : les causes n’avancent que parce qu’il y a des militants, y compris les causes que nous partageons. Il est facile d’être exaspéré par des militants qui défendent des causes que nous ne partageons pas. Mais attention à ne pas oublier toutes les fois où les militants défendent des causes que nous partageons.
  • Troisième précaution : “tout est politique” est une tautologie qui n’est sûrement pas équivalente à dire que “tout est militantisme”. Quand je parle de militantisme, je parle des personnes qui défendent activement une cause.
  • Les militants ont une incitation considérable à n’utiliser que les arguments qui leur permettent de défendre leur cause, et à ignorer ou à critiquer les autres. Ils n’ont pas d’incitation particulière à utiliser des arguments “vrais”.
  • L’activité militante étant souvent collective, il existe également des incitations sociales liées à cette dimension collective. Par exemple : utiliser des arguments pour montrer que l’on appartient au groupe militant ou que l’on défend la cause d’une “bonne” manière pour gagner en influence en interne. Ces incitations collectives n’ont, elles non plus, pas de raison particulière d’être alignées sur des incitations à utiliser des arguments “vrais”.
  • Compte tenu de ces incitations, il me semble très clair que par défaut, il ne faut jamais faire confiance aux arguments des militants – et les vérifier systématiquement. Et si on n’a pas le temps de les vérifier, de suspendre notre jugement.
  • Attention cependant : identifier les incitations ne permet pasde dire si un argument est vrai ou faux. Ça n’est pas parce qu’il ne faut jamais faire confiance aux arguments des militants que ces arguments sont nécessairement faux. Leur véracité se vérifie au cas par cas.
  • Cette règle générale ne concerne toutefois que les arguments positifs. Les arguments normatifs, qui se basent sur des jugements de valeur, ne peuvent pas être concernés. La frontière est toutefois plus compliquée lorsque l’argument normatif repose sur un argument positif faux.
  • Cette prudence par défaut s’applique quelque soit la cause défendue par les militants : on vérifie les arguments des deux côtés. Corollaire : cette prudence par défaut est de mise y compris, et sans doute même surtout, si on est d’accord avec la cause défendue par le militant. Notre vieil ami le biais de confirmation est toujours en embuscade.
  • Comme toujours, exercez votre esprit critique ! La méthode que je propose n’est ni une méthode miracle, ni une méthode “mécanique”. Elle suppose du recul et de la discrétion dans son utilisation.
  • Cet article achève la série d’articles sur les incitations. J’espère qu’elle vous aura plu ! De mon côté, je n’ai jamais pris autant de plaisir dans mon activité de vulgarisateur, pourtant commencée en 2015, qu’en écrivant ces articles !
  • Rendez-vous mardi prochain à 18h pour le premier article réservé aux abonné.e.s Plus, et jeudi prochain à 18h pour tout le monde pour le prochain article.

Quelques précautions sur le militantisme

Les sceptiques, au moins sur les réseaux sociaux, sont souvent en conflit avec les militants. Le Tronche en Live sur la chasse a par exemple déclenché les foudres de nombreux chasseurs – un groupe très actif politiquement. Les débats sur les OGM, le glyphosate et plus généralement les pesticides impliquent des associations à qui les sceptiques reprochent (le plus souvent, à raison) leurs sophismes et leurs fausses informations. Et je ne parle pas des questions de société ou plus directement politiques, où trop souvent des hordes de militants enragés font déferler sur quiconque a le malheur de ne pas partager à la virgule près leur vision du monde des foudres de violence. J’ai moi-même eut à faire avec des militants et, rétrospectivement, ce sont certains d’entre eux qui ont été à l’origine de ma décision, l’été dernier, de temporairement suspendre L’Économiste Sceptique.

Pour autant, et sans nier la violence et les fadaises que de nombreux militants utilisent régulièrement, il est nécessaire d’entamer un tel article par quelques précautions qui, d’après mon expérience, manquent à trop de sceptiques.

L’idéologie, c’est important

La première précaution consiste à dire que l’idéologie n’est pas forcément quelque chose de négatif. En fait, dans de nombreuses situations, elle est même nécessaire – voire inévitable. Prenons deux questions en apparence proches, mais en réalité très différentes :

  • Est-ce que l’énergie nucléaire émet du CO2 ?
  • Faut-il recourir à l’énergie nucléaire afin de réduire le réchauffement climatique ?

En langage d’économiste, la première question est une question positive. En langage sceptique, on dira qu’il s’agit d’une question scientifique – à laquelle on peut apporter une réponse “objective” à l’aide de recherches scientifiques. Il n’y a pas, dans cette question ni dans la manière d’y répondre, de place pour l’idéologie. Il serait sans doute même dangereux de faire intervenir l’idéologie pour y répondre – car on veut que la réponse soit la plus rigoureuse et “objective” possible, et l’idéologie risque d’introduire des biais importants qui, et c’est encore pire, seraient difficiles à détecter. À ce propos, dans les sciences, les biais sont comme les hypothèses : dans une grande mesure, ils sont acceptables tant qu’ils sont explicites. Des biais et/ou des hypothèses explicites permettent de rendre explicites les motifs d’accord ou de désaccord.

La deuxième question, toujours en langage d’économiste, est une question normative. Elle ne porte pas sur ce qui est, mais sur ce qui est devrait être. En langage sceptique, il ne s’agit pas d’une question scientifique. C’est une question à laquelle il n’est pas possible de répondre objectivement. Pourquoi ? Parce que l’énergie nucléaire a des avantages et des inconvénients. Mais qui va décider ce que sont ses avantages et ses inconvénients ? Et, surtout, de leurs pondérations respectives ?

Si je dis “l’avantage en réduction des émissions de CO2 dépasse le problème de la gestion des déchets de longue période”, et que vous défendez l’argument inverse : qui, de nous deux, a objectivementraison ?

La réponse est : personne. Dans cet exemple hypothétique, votre pondération des avantages et des inconvénients n’est pas plus, ou moins, valable que la mienne. Dans une question scientifique, la personne qui a les preuves empiriques les plus solides pour y répondre a davantage et objectivement raison – jusqu’à ce que des preuves plus solides ou qu’une meilleure théorie ne change la réponse. Mais ici ? Répondre à la question de ce qu’il faudrait fairesuppose nécessairement de recourir à des jugements de valeur, par essence subjectifs. Il faut une idéologie pour répondre à cette question, et des idéologies différentes pourront aboutir à des réponses différentes. Et contrairement à la hiérarchie des preuves empiriques dans les réponses aux questions scientifiques, il ne sera jamais possible d’établir une hiérarchie objective entre les différentes réponses à une question normative.

Déduire du fait vérifié que l’énergie nucléaire émet peu de CO2 qu’il faut en généraliser l’usage est une position idéologique. Qui est peut-être votre position d’ailleurs, ou non, mais peu importe : “il faut généraliser l’usage du nucléaire” n’est pas, n’a jamais été, et ne sera jamais, un argument scientifique. C’est un argument politique, qui se fonde sur des jugements de valeur – pour certains, implicites. Qu’ils soient implicites ne veut pas dire qu’ils n’existent pas ! Avoir une idéologie claire permet de faire apparaître ces implicites. Et réduit le risque de se faire avoir par des fadaises en tout genre.

Il faudra bien évidemment davantage que quelques paragraphes pour discuter des liens entre science, idéologie et politique – j’ai des articles en préparation à ce sujet. Et j’ai bien conscience qu’équivaloir la méthode scientifique à une “objectivité” est un raccourci. Mais pour la discussion qui nous intéresse aujourd’hui, il me semble que ces (im)précisions suffisent.

Les effets du militantisme

La seconde précaution à prendre concerne les effets du militantisme.

Nous avons toutes et tous, moi inclus, des causes qui nous tiennent à cœur. C’est vrai quelle que soit notre idéologie politique. Or, ces causes ne se défendent pas seules.

Si vous avez une idéologie progressiste, l’avancée des droits des personnes LGBTQ n’a par exemple eu lieu que parce qu’il y a eu des mouvements pour les défendre : l’émeute de Stonewall, avant elle la Mattachine Society, après elle les marches des fiertés, et ainsi de suite.

Si vous avez une idéologie conservatrice, les lois restreignant l’avortement dans un certain nombre d’États aux USA sur la base d’arguments religieux sont votées car il y a des mouvements militants pour pousser les élus de ces États à les voter. Même chose pour la circulation et le port des armes à feu.

Il est facile d’être exaspéré par des militants qui défendent des causes que nous ne partageons pas. Mais attention à ne pas oublier toutes les fois où les militants défendent des causes que nous partageons. Le militantisme est une épée à deux lames. Il ne faut pas l’oublier.

De qui parle-t-on exactement ?

La troisième précaution concerne la définition de “militant”. J’ai pu croiser des définitions assez… extensives du militantisme, et j’aimerais préciser la définition que je vais retenir – dans cet article comme dans les prochains sur le sujet.

Un militant est, pour moi, une personne qui défend activement une cause. On peut argumenter, et à raison, que “tout est politique”. Mais cet argument est une tautologie du même genre qu’argumenter que “tout est de la physique”, et les tautologies disent rarement quoi que ce soit d’intéressant. Pour autant, “tout est politique” n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais un équivalent à “tout est militantisme”. Je suis en désaccord avec l’idée que des actes “inconscients” puissent être assimilés à du militantisme. Il y a une différence de degré considérable, et qui d’après moi implique une différence de nature, entre un acte “inconscient” et une activité militante ou politique organisée.

Quand je produits du contenu sceptique que je mets gratuitement et librement à la disposition de toutes et tous, quelque part je défends l’idée qu’une société où la connaissance circule librement est une société préférable à une société où la connaissance serait réservée à quelques privilégiés. Cette idée est une idée politique. Mais est-ce que produire du contenu sceptique est comparable à organiser des manifestations, des levées de fonds ou des pétitions, de s’organiser en vue d’une élection soit pour y participer en tant que candidat ou volontaire de campagne, ou pour influencer les candidats déclarés, d’écrire du contenu pour alimenter une réflexion militante et le diffuser régulièrement sur les réseaux sociaux avec une stratégie plus ou moins organisée ? De mon point de vue, la réponse est clairement non. Et même si ces deux activités partagent quelques similitudes, dire qu’elles sont équivalentes me paraît constituer un saut logique gigantesque et, en réalité, impossible à défendre.

Vous êtes bien évidemment libre d’utiliser la définition “extensive” du militantisme. Pour ma part, je la trouve aussi fragile qu’inadaptée. Pour cette raison, les militants dont je vais parler ensuite sont les personnes qui défendent activement une cause – et qui s’organisent en ce sens.

Mes trois précautions étant précisées, il est temps de passer au cœur de la discussion.

Les incitations des militants

Quelles sont les incitations des militants ? Et quelles conclusions tirer de l’analyse de leurs incitations pour savoir s’il faut vérifier, ou non, leurs arguments ?

Comme je l’écrivais dans l’article introductif sur les incitations, les incitations comme outil sceptique permettent d’identifier où sont les intérêts des parties prenantes d’un débat, et cette identification nous permet de mieux décider s’il faut, ou non, vérifier leurs arguments. Comme je l’écrivais dans le guide sur les incitations, ce sont des questions comme celles-ci qu’il faut se poser pour identifier les incitations :

  • est-ce que l’individu X a intérêt à utiliser l’argument Y ?
  • où sont les intérêts de l’individu X ?
  • quels gains auraient à tirer l’individu X à utiliser l’argument Y ?
  • si l’individu X utilise l’argument Y, quels gains pourraient le.la pousser à l’utiliser ?

Un militant, par définition, a pour objectif de défendre une cause. Pour cette raison, il a donc intérêt à utiliser des arguments en faveur de sa cause, et à ignorer, parfois sciemment, et à critiquer les arguments en défaveur de sa cause – indépendamment de toute considération de rigueur intellectuelle. Le critère principal qui guide le choix d’un militant pour utiliser un argument plutôt qu’un autre n’est pas tellement leur vraisemblance ou leur rigueur, mais la manière dont ils lui permettent de défendre sa cause. C’est sans doute là que se situe la raison profonde qui rend les échanges entre sceptiques et militants aussi difficiles : parce que leurs objectifs sont fondamentalement différents – et dans une grande mesure, opposés, ou en tout cas, incompatibles.

Si j’avais à caricaturer, je dirais donc que les militants sont incités à utiliser les arguments qui leur permettent de défendre leur cause, pas les arguments qui leur permettent d’être dans le “vrai”.

Ces autres incitations militantes à ne pas négliger

Réduire les militants à des personnes seulement mues par la défense d’une cause serait caricatural – et empiriquement faux. Le plus souvent, l’activité militante est une activité collective. Elle se fait dans un parti, un syndicat, une association, un collectif, ou plus simplement au sein d’un groupe informel – physique ou virtuel, plus ou moins clairement défini, peu importe.

Pour cette raison, il existe également des incitations dues à la dimension collective de l’activité militante. Comme la pureté militante et ses dérivés : le militant utilise un argument non pas pour convaincre, mais pour montrer aux autres militants qu’il est légitime dans le groupe, qu’il défend la “bonne” vision de l’idéologie de son groupe, afin de s’y intégrer ou d’y exercer des positions de pouvoir et/ou d’influence. Il en va de même pour les luttes de pouvoir : il suffit de voir, dans les partis politiques, les luttes entre les uns et les autres pour obtenir qui l’investiture, qui la tête de liste, qui la position éligible. Et selon l’état des rapports de force dans la lutte de pouvoir, les militants pourront défendre, ignorer ou rejeter, des arguments non pas parce qu’ils sont convaincus ou non par eux, mais parce que c’est un moyen de se positionner dans la lutte de pouvoir.

Une autre incitation importante liée à la dimension collective du militantisme est celle de l’engagement : vous avez milité pendant dix ans, vingt, trente ans. Soudainement, un argument apparaît et cet argument semble contredire, au moins en apparence, ceux que vous avez défendu pendant toutes ces années. Vous avez une incitation très forte à refuser cet argument, à le rejeter par tous les moyens, y compris des moyens fallacieux, afin de ne pas mettre en danger cet édifice mental et social que vous avez passé tant de temps à construire. Que vont penser vos amis militants si vous commencez à utiliser des arguments incompatibles avec ceux de la cause que vous défendez ? Avez-vous envie de les perdre ?

On peut penser ce que l’on veut de ces incitations liées à la dimension collective du militantisme. Je vous renvoie à cet article, où j’abordais notamment la question du jugement moral à porter sur les personnes qui agissent en suivant leurs incitations. Mais le fait est que ces incitations sociales ne sont pas non plus alignées sur des incitations associées à la recherche d’une forme “d’objectivité”.

Par défaut, la défiance

Compte tenu des incitations auxquelles font face les militants, faut-il, ou non, faire confiance à leurs arguments ? Vous vous doutez sans doute de la position que je vais défendre : il me semble très clair que par défaut, il ne faut jamais faire confiance à leurs arguments. J’insiste sur ce jamais. Les militants ont de puissances incitations non pas à utiliser les arguments les plus “vrais”, mais les arguments qui vont dans le sens de la cause qu’ils défendent – indépendamment de leur véracité. Ce qui introduit un biais à mon sens fondamental en défaveur des arguments qu’ils défendent. Ce qui ne veut pas dire que les arguments défendus par les militants soient nécessairement faux.

Comme je l’expliquais dans l’article sur les limites du concept d’incitations, identifier les incitations ne permet pas de dire si un argument est vrai ou faux. Identifier les incitations sert à identifier s’il faut, ou non, le vérifier. Dire qu’il ne faut pas croire sur parole les arguments d’un militant ne veut sûrement pas dire que les arguments en question sont faux, ou fallacieux. Cela veut dire qu’il est, à mon sens, plus sage de prendre le temps de les vérifier indépendamment, et si possible de ne pas les vérifier auprès d’autres militants. Ceux qui défendent la même cause vont très probablement vous dire que les arguments sont fondés ; ceux qui défendent la cause opposée vont très probablement vous dire que les arguments sont infondés. Et la vérité n’a aucune raison d’être “entre les deux” : si Ahmed dit qu’il pleut, et que Jeanne dit qu’il ne pleut pas, ça n’est pas en essayant de trouver une position “entre les deux” qu’on saura qui a raison. Il faudra vérifier par nous-même auprès d’une source de confiance.

Et si le temps nous manque pour vérifier les arguments, la position raisonnable consiste à suspendre notre jugement le temps de procéder à ces vérifications.

Quelques nuances

Maintenant que j’ai dit qu’il fallait, par défaut et d’après moi, ne jamais faire confiance aux arguments utilisés par les militants, j’aimerais apporter quelques nuances.

Première nuance : cette conclusion concerne uniquement les arguments positifs. Les arguments normatifs, eux, ne sont pas concernés – parce qu’ils ne peuvent pas être concernés. Si un militant anti-nucléaire me dit que l’énergie nucléaire émet beaucoup de CO2, je ne fais pas confiance et je vérifie l’argument. Par contre, si son argument consiste à dire que c’est une bonne chose de réduire la place du nucléaire dans la production d’électricité, ça n’est pas un argument que je peux vérifier. “Une bonne chose”, ça n’est pas un fait. C’est fondamentalement un jugement de valeur – que l’on peut partager, ou non. Ça n’a aucun sens d’essayer de le vérifier.

Toutefois, pour nuancer cette nuance, la frontière entre positif et normatif n’est pas toujours nette. Si je dis “il faut réduire la place du nucléaire parce que les centrales nucléaires émettent beaucoup de CO2”, il y a dans mon argument deux arguments : “il faut réduire la place du nucléaire” est un argument normatif, “parce que les centrales nucléaires émettent beaucoup de CO2” est un argument positif. Or, il est rigoureusement faux d’affirmer que les centrales nucléaires émettent beaucoup de CO2. L’argument positif est donc faux. L’argument normatif reste invérifiable, mais que faire s’il repose sur un argument positif faux ? Pas simple…

Seconde nuance : cette prudence par défaut est de mise quelque soit la cause défendue. Si un militant anti-nucléaire me dit que l’énergie nucléaire émet beaucoup de CO2, je ne fais pas confiance. Si un militant pro-nucléaire me dit que l’énergie nucléaire émet peu de CO2, je ne fais pas non plus confiance. L’incitation à n’utiliser que les arguments favorables à la cause que défend le militant est la mêmequelque soit la cause en question.

Troisième nuance, liée à la précédente : cette prudence par défaut est de mise y compris, et sans doute même surtout, si on est d’accordavec la cause défendue par le militant. Il n’y a, là non plus, aucune raison de croire que les incitations des militants qui défendent une cause avec laquelle nous sommes d’accord soient différentes des incitations des militants qui défendent une cause avec laquelle nous ne sommes pas d’accord. Donc : on vérifie. Ou l’on suspend son jugement si l’on n’a pas le temps de vérifier. Systématiquement. Et encore plus lorsque l’argument sert à défendre une cause que l’on partage : notre vieil ami le biais de confirmation est toujours en embuscade…

Enfin, il ne s’agit pas vraiment d’une nuance mais comme toujours : exercer votre esprit critique ! Avec cette série d’articles sur les incitations, je vous propose une méthode pour utiliser les incitations afin d’enrichir la boîte à outils sceptique – méthode que j’ai résumé dans ce guide pratique. Mais la méthode que je vous propose n’est pas une méthode miracle – ni mécanique. Elle suppose du recul, et de la discrétion dans son utilisation. Et comme, à ma connaissance, je suis le premier à la proposer, il y a peu de doute qu’elle soit perfectible ! Et dans tous les cas, elle ne donne à ma connaissance pas des résultats “évidents”.

Ce sont donc sur ces mots que j’achève cet article, et avec lui cette série, sur les incitations. J’espère que vous y aurez appris des choses et qu’ils vont auront plu ! J’ai pour ma part pris un très grand plaisir à les écrire – je n’ai, en fait, jamais pris autant de plaisir dans mon activité de vulgarisateur, pourtant commencée en 2015, qu’en écrivant ces articles ! J’ai très hâte d’écrire les prochains, et de les partager avec vous.

Je vous donne rendez-vous mardi prochain à 18h pour le premier article réservé aux abonné.e.s Plus, et jeudi prochain à 18h pour tout le monde pour le prochain article ! Si ça n’est pas déjà fait, ne manquez pas ces prochains articles en vous abonnant gratuitement par email ou à Plus.

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