#99 · Quelles sont les causes de l’inflation ?

Afin de lutter efficacement contre l’inflation, il faut d’abord identifier rigoureusement ses causes

#99 · Quelles sont les causes de l’inflation ?

Chère abonnée, cher abonné,

Ce numéro du Wiki est une sorte de suite du précédent numéro — où j’expliquais ce qu’est l’inflation.

#97 · Qu’est-ce que l’inflation ?
L’inflation est un phénomène économique qui consiste en l’augmentation générale des prix des biens et services

Pour le numéro d’aujourd’hui, je vous propose de nous intéresser aux causes de l’inflation.

On a vu dans le précédent numéro que l’inflation est un phénomène économique normal. L’inflation devient un problème lorsqu’elle atteint un niveau trop élevé, et ce pendant une période trop longue — ou lorsqu’elle devient négative, ce que l’on appelle la déflation, mais la déflation étant un phénomène particulier, je ne vais pas en parler dans ce numéro. Une inflation trop élevée érode le pouvoir d’achat — et pour les politiciens, une inflation trop élevée peut faire la différence entre la victoire et la défaite dans les urnes. On comprend que l’État a intérêt à lutter efficacement contre l’inflation, ce qui suppose au préalable d’en comprendre rigoureusement les causes.

L’objectif de ce numéro du Wiki n’est pas de donner une liste exhaustive de toutes les causes possibles de l’inflation. L’objectif de ce numéro est plus modestement d’expliquer les causes les plus courantes et les mieux connues.

J’ajoute que l’inflation fait typiquement partie des sujets sur lesquels je ne suis pas du tout compétent scientifiquement parlant. Pire : je n’ai jamais aimé l’économie monétaire — la sous-discipline de la science économique qui étudie la monnaie et les phénomènes monétaires, phénomènes dont l’inflation fait partie. J’ai toujours trouvé l’économie monétaire compliquée et laborieuse, et sans dire que ça n’est pas intéressant, moi elle ne m’a jamais intéressé. Avec le numéro d’aujourd’hui, on atteint les limites de mes compétences d’économiste. À part des numéros un peu généraux comme celui-ci, ne vous attendez pas à ce que je traite en profondeur des questions d’économie monétaire sur L’Économiste Sceptique.

Une deuxième précision : le fonctionnement de la monnaie n’est généralement pas du tout intuitif. Si vous trouvez ces phénomènes difficiles à comprendre, sachez que c’est parce que les phénomènes monétaires sont, au moins de mon point de vue, authentiquement difficiles à comprendre — y compris pour de nombreux économistes qui, comme moi, ont une spécialisation scientifique éloignée de l’économie monétaire. Toutefois, prudence : ça n’est pas parce que le fonctionnement de la monnaie n’est pas intuitif que ça autorise à dire tout et n’importe quoi. L’économie monétaire repose sur un large corpus scientifique qu’il n’est pas question d’ignorer parce que ça nous arrange. En un sens, je comparerais l’économie monétaire à la physique quantique : il s’agit d’un ensemble de théories peu intuitives mais empiriquement robustes. La comparaison va d’ailleurs un peu plus loin : comme ce sont des théories peu intuitives, elles sont des candidates idéales pour servir de substrat aux plus invraisemblables fadaises. C’est en effet sur des questions d’économie monétaire que j’ai le plus souvent vu des « recherches originales » de la part de personnes qui, manifestement, n’ont aucune idée de ce qu’est l’économie monétaire. Un peu de la même manière que la physique quantique peut servir à vendre tout et (surtout) n’importe quoi — le fameux « ta gueule, c’est quantique ».

Oui, l’économie monétaire c’est compliqué. Mais non, ça n’est pas une raison pour dire tout et son contraire à son sujet. Au contraire même ! Un objet compliqué à comprendre appelle à la plus grande prudence épistémique.

Identifier rigoureusement les causes de l’inflation est une question à la fois scientifique et empirique : pour y répondre, il faut utiliser des données que l’on aura traitées avec les méthodes statistiques les plus avancées à notre disposition. Spéculer sur de possibles causes, voire inventer des causes qui arrangent notre discours politique, idéologique ou moral, ne sont pas des manières rigoureuses de répondre à cette question. Contrairement à une certaine vulgate entendue à mon avis un peu trop souvent, les phénomènes sociaux ne sont pas moins réels que les phénomènes physiques ou naturels. Les phénomènes sociaux, dont l’inflation fait partie, ne sont pas des phénomènes de seconde classe dont l’étude scientifique peut se satisfaire de méthodes peu rigoureuses qui reposent sur des formes de wishful thinking.

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De manière générale, on peut classer les causes de l’inflation dans deux grandes catégories : les causes monétaires et les causes réelles.

L’inflation étant un phénomène monétaire, par cause monétaire on entend toute cause qui est liée à la manière dont la monnaie elle-même fonctionne. Un exemple de cause monétaire est lorsqu’il y a trop de monnaie qui circule dans l’économie — une quantité que la banque centrale peut plus ou moins directement contrôler. Une manière intuitive de comprendre pourquoi une masse monétaire excessive peut provoquer de l’inflation est d’imaginer deux économies identiques en tout point à une différence près : dans l’une d’elles, il y a 1 million de billets de 5 € qui circulent, dans la deuxième il y a 2 millions de billets de 5 € qui circulent. Dans la deuxième économie, on comprend qu’il sera plus « facile » de doubler les prix — tout simplement car il sera plus « facile » de mettre la main sur une quantité deux fois plus importante de monnaie. L’inflation est « plus facile » dans une économie où la masse monétaire est importante.

La seconde grande catégorie de causes à l’inflation est les causes réelles. Attention à ne pas faire de contresens : le terme « réel » est ici du jargon scientifique. Les causes monétaires sont toutes aussi « réelles » que les causes réelles, au sens où les causes monétaires ont elles aussi des effets bien concrets sur nos vies — avec les conséquences négatives que l’on connaît si l’inflation est à un niveau trop élevé. Par « causes réelles », on entend les causes qui ne sont pas monétaires. Là où les causes monétaires de l’inflation sont des phénomènes internes au fonctionnement de la monnaie elle-même, les causes réelles sont des causes économiques.

Un exemple d’une cause réelle qui vous parlera sans doute est l’augmentation très forte du prix d’un bien ou d’un service qui est utilisé dans la production de nombreux autres biens et services. Au hasard… l’énergie. Si le prix de l’énergie augmente fortement, le prix de nombreux autres biens et services dont la production requiert de l’énergie va lui aussi mécaniquement augmenter. C’est un exemple de ce que l’on appelle l’inflation par les coûts : l’inflation est causée par une augmentation anormalement élevée de certains coûts de production. Un autre exemple d’inflation par les coûts est lorsque les salaires augmentent fortement d’un seul coup.

La deuxième grande cause réelle d’inflation est l’inflation par la demande. Lorsque la demande globale augmente beaucoup plus vite que l’offre globale, ce qui arrive typiquement lorsque l’économie d’un pays est en forte croissance pendant une période relativement longue, l’économie peut entrer dans une sorte de « surchauffe ».

Une manière intuitive de saisir le mécanisme responsable de l’inflation par la demande est d’imaginer une économie en forte croissance. Le PIB augmente rapidement, et avec lui les salaires. Les salariés vont pouvoir utiliser ce pouvoir d’achat supplémentaire pour s’acheter des biens et des services. Si l’offre, c’est-à-dire la production, n’est pas suffisante pour faire face à l’augmentation rapide de cette demande, les salariés vont se faire concurrence pour acheter ces biens et services. Les producteurs vont pouvoir augmenter leurs prix sans nécessairement perdre des clients ; augmenter leurs prix est aussi un moyen de réguler la demande à laquelle ils sont confrontés.

On peut représenter ce mécanisme graphiquement. Grâce à la croissance économique, la courbe de demande globale passe de la courbe 1 (en pointillé) à la courbe 2 (en trait plein). Les quantités achetées et vendues dans l’économie augmentent (abscisses, axe horizontal), mais le niveau des prix également (ordonnées, axe vertical). Ce « surplus de niveau des prix » est l’inflation par la demande.

L’inflation peut avoir de nombreuses causes. Ces différentes causes ont des mécanismes sous-jacents bien différents. On comprend que les politiques publiques qui permettront de lutter efficacement contre l’inflation ne seront pas les mêmes si l’inflation est causée par un excès de masse monétaire ou s’il s’agit d’une inflation par les coûts.

C’est pour bien choisir la politique publique à mettre en place pour lutter contre l’inflation qu’il est important d’identifier rigoureusement ses causes. Une fois qu’on en a rigoureusement identifié les causes, on peut utiliser ces connaissances pour concevoir des politiques publiques qui permettent de contenir l’inflation à un niveau acceptable — que l’on fixe généralement à 2 % par an. Ce taux d’inflation cible de 2 % n’a pas été choisi de manière arbitraire, il repose sur d’importantes recherches en économie monétaire.

J’avais initialement prévu de couvrir à la fois les causes et les politiques publiques que l’État peut mettre en œuvre pour lutter contre l’inflation dans ce numéro. Toutefois, le numéro est déjà suffisamment long. D’autant qu’il va falloir que j’explique des points relativement techniques pour expliquer comment la banque centrale peut intervenir pour réduire l’inflation, ce qui en aurait d’autant augmenté la longueur.

Dans le dernier numéro de ce qui s’avère finalement être un triptyque, je prendrai donc le temps d’expliquer les principaux outils à la disposition de l’État pour lutter contre l’inflation. Ne le manquez pas en vous abonnant à la newsletter.

À bientôt pour le prochain numéro de L’Économiste Sceptique, Olivier

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