#47 - La décroissance n’est pas une option

La décroissance fait face à deux problèmes majeurs – problèmes qui l’excluent des options pour lutter contre le réchauffement climatique

#47 - La décroissance n’est pas une option

Chère abonnée, cher abonné,

Je viens de conclure une série de numéros sur cette idée que les économistes croiraient en “une croissance infinie dans un monde fini”. J’ai expliqué que les économistes ne croient tout simplement pas en cette idée, que l’idée est fondée sur une incompréhension des modèles de croissance endogène et que c’est de toute façon sans grand intérêt de se demander si la croissance est infinie ou si la Terre est finie. On peut d’ailleurs mesurer ce désintérêt dans la littérature scientifique en économie, qui n’aborde tout simplement pas la question de la “finitude” de la croissance économique. La croissance infinie, c’est l’un de ces débats qui agitent l’espace médiatique mais qui n’existent pas dans la sphère scientifique.

J’aimerais continuer mon exploration de l’économie de l’environnement en m’intéressant à la décroissance. La décroissance est parfois présentée comme une solution au réchauffement climatique. Dans le numéro d’aujourd’hui, j’aimerais argumenter que la décroissance n’est pas une option pour résoudre le réchauffement climatique – et ce, que l’on soit en faveur ou en défaveur de cette dernière. Je pense que la décroissance n’est pas une option pour deux raisons.

Je précise que je ne vais pas discuter des avantages et des inconvénients de la décroissance en elle-même, ni entrer dans les détails de ce qu’elle est et n’est pas. Mon angle est uniquement de l’envisager en tant que solution possible au réchauffement climatique. Je vais me contenter d’envisager la décroissance comme une réduction du niveau du Produit Intérieur Brut.

La première raison pour laquelle la décroissance n’est pas une option est qu’à ce jour, il n’est rigoureusement pas possible de dire si c’est une solution efficace pour réduire les émissions de CO2. La raison est simple : la décroissance n’ayant jamais été implémentée nulle part, il n’existe pas de données pour mesurer son efficacité.

Je veux que mon argument soit bien compris : je ne dis pas que la décroissance est inefficace – ni efficace, d’ailleurs. Je dis seulement qu’il n’est, en l’état, pas possible de mesurer son efficacité. Son efficacité est donc incertaine.

Je ne dis pas non plus qu’il est impossible de faire des conjectures sur son efficacité à partir d’évènements qui ressemblent à de la décroissance. Ces données partielles sont importantes – ce qu’illustrent, par exemple, les différentes expérimentations sur le revenu universel qui permettent d’en mesurer les effets. Mais elles sont, et resteront, insuffisantes pour tirer des conclusions générales.

Reste qu’il me semble que certaines de ces données partielles ne sont pas encourageantes. D’une part, la corrélation entre les émissions de CO2 et le PIB n’est pas évidente : les émissions annuelles mondiales de CO2 stagnent depuis 10 ans, alors que le PIB, lui, a continué, à croître – donc l’inverse d’une décroissance. On constate également un découplage de plus en plus important entre les émissions de CO2 et le PIB en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. D’autre part, les confinements de 2020, que l’on peut apparenter à une forme de décroissance vu la baisse du PIB qu’ils ont généré, n’ont fait baisser les émissions annuelles mondiales de CO2 que d’un peu moins de 6%. Je ne sais pas si cette baisse est “grande” en taille, mais je m’attendais à une baisse plus importante.

Source : Agence Internationale de l'Énergie

Pour toutes ces raisons, et qu’on le veuille ou non, faire le pari de la décroissance est un pari incertain. C’est un avis personnel, mais il me semble dangereux de parier sur des réponses à l’efficacité incertaine face à un problème qui est, lui, solidement documenté – et donc tout à fait certain.

Le second problème, à mon avis encore plus important que le premier, est que la décroissance n’est aujourd’hui pas réaliste politiquement. Concrètement, il n’existe que peu, voire pas, de candidats avec un programme décroissant susceptibles de gagner les élections – en France comme ailleurs. Or, dans une démocratie, il est indispensable de passer par l’élection pour implémenter un changement de société aussi substantiel.

Il est bien sûr possible de faire changer d’avis les électeurs. Comme l’illustre les droits des personnes LGBT, les congés payés, le droit à l’avortement, le droit de vote des femmes ou encore l’intégration européenne, ces changements d’avis sont possibles. Mais ces changements ont demandé des années, si ce n’est des décennies, d’efforts continus. Et j’écris ça en faisant l’hypothèse (favorable) que l’opinion publique puisse être convaincue par la décroissance. Compte tenu du niveau de confort littéralement sans précédent dans lequel l’Humanité vit aujourd’hui, je ne suis même pas certain que l’électorat sera sensible à la décroissance.

Vous voyez sans doute en quoi cette absence de soutien politique est un problème pour la décroissance : alors que l’urgence du réchauffement climatique demande d’agir dès maintenant, il n’est politiquement pas envisageable de mettre en place une politique de décroissance avant des années – si ce n’est des décennies.

Alors que faire si la décroissance n’est pas une option ? Contrairement à ce qu’en disent certaines et certains, il n’y a pas de solution ni unique, ni évidente, au réchauffement climatique. Je me contenterai de rappeler ce que j’écrivais plus haut : des découplages ont déjà commencé, en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. Et les émissions annuelles mondiales de CO2 stagnent depuis dix ans. Il se passe peut-être quelque chose. Mon intuition est qu’il faut rigoureusement étudier ce quelque chose à l’aide de la méthode scientifique, et l’encourager s’il s’avère que cette stagnation des émissions n’est pas un accident mais le résultat de phénomènes plus profonds.

On est, en tout cas, bien loin des solutions “toutes prêtes” que vendent certains – solutions qui font de jolis slogans mais qui s’avèrent un peu courts une fois que l’on creuse un peu.

Une dernière précision : n’inférez pas de la lecture de ce numéro que je suis “contre” la mise en place d’une politique de décroissance. Je n’ai, en réalité, pas d’opinion. La raison est simple : puisqu’il manque des données cruciales pour mesurer l’efficacité d’une telle politique, de mon point de vue il s’agit d’une question hautement spéculative. Je n’interdis à personne de spéculer ; je dis juste que pour ma part, la spéculation ne m’intéresse pas. Je préfère les données, et je me ferai un avis lorsqu’il y aura suffisamment de données à ma disposition.

Pour résumer, la décroissance n’est d’après moi pas une option pour lutter contre le réchauffement climatique car son efficacité est incertaine, et car elle n’est pas réaliste politiquement à court terme alors que le réchauffement climatique nous impose d’agir dès maintenant. Et vous, qu’en pensez-vous ?

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